• A Paris, les «jeunes» sous surveillance


    A Paris, les «jeunes» sous surveillance
    Le préfet de police a interdit pour une durée de 22 heures tout rassemblement «de nature à provoquer le désordre», dans le cadre de l'état d'urgence.
    par Patricia TOURANCHEAU
    QUOTIDIEN : samedi 12 novembre 2005


    Du jamais vu depuis un demi-siècle, à l'époque de la guerre d'indépendance en Algérie. Le préfet de police de Paris, Pierre Mutz, a interdit dans la capitale du samedi à 10 heures au dimanche à 8 heures «toute réunion de personnes de nature à provoquer ou entretenir le désordre sur la voie et dans les lieux publics, conformément à l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence». Et ce «afin de prévenir les troubles à l'ordre public». Une décision ainsi justifiée dans le communiqué officiel : «Des messages diffusés depuis quelques jours sur l'Internet et par SMS ont appelé le 12 novembre à des rassemblements dans Paris et à "des actions violentes" selon les termes de leurs auteurs.» Selon une source policière, «de nombreux jeunes se donnent rendez-vous à Paris, aux Halles, sur les Champs-Elysées, à l'Arc de triomphe, à Bastille, République et ailleurs pour en découdre», en ce week-end prolongé du 11 novembre. Les Renseignements généraux signalent que les «appels les plus repris visent surtout les Champs-Elysées et Bastille, samedi après-midi, l'un d'eux évoque "la plus grande émeute qu'on n'ait jamais vue".» Ces appels remontent cependant au début de cette semaine, les violences urbaines ont baissé depuis.
    Le préfet de police de Paris avait déjà interdit la vente de carburant au détail et le transport de bidons d'essence pour éviter la fabrication de cocktails Molotov. Il prévoyait aussi pour samedi de renforcer son dispositif de milliers de policiers et d'escadrons, et de mettre en place une surveillance accrue dans les métros et gares RER en banlieue. Jusqu'à présent, Pierre Mutz n'avait pas signé d'arrêté d'application de la loi sur l'état d'urgence, réhabilitée par le gouvernement, alors même que Paris figure parmi les 25 départements pouvant être concernés par ces mesures.
    Le préfet de police vient donc de céder à la tentation de l'état d'urgence. A l'instar des six préfets de la Somme, des Alpes-Maritimes, de l'Eure, de Seine-Maritime, du Loiret et des Landes, qui ont déjà instauré des couvre-feux.
    Certes, la préfecture explique qu'il s'agit d'avoir «un effet dissuasif, préventif» et de «renforcer les sanctions si des gens venaient à Paris». Elle rappelle les peines en cas de non-respect de ces mesures : «huit jours à deux mois d'emprisonnement et/ou une amende de 3 750 €». Puis elle tempère : «Ce n'est pas pour empêcher d'honnêtes citoyens de se promener dans Paris. Ce ne sont pas les rassemblements en tant que tels qui sont visés.» D'ailleurs, le «rassemblement» d'associations tels Act Up, Droits Devant et le Mrap, samedi à 17 h 30 place Saint-Michel, «contre les logiques coloniales et les lois d'exception», reste autorisé. En revanche, les «zy-va» à casquette pourraient ne pas y couper, au risque pour les policiers de verser dans le délit de faciès.
    La notion de «réunion de nature à provoquer ou entretenir le désordre» est en effet «si vague» qu'elle permet tout. Pour le professeur de droit public Ferdinand Mélin-Soucramanien, l'arrêté «viole au moins la liberté de réunion et de manifestation. On pouvait s'y attendre, car le décret de 1955 a précisément pour but de suspendre les droits fondamentaux. On utilise un moyen disproportionné pour rétablir l'ordre républicain». Michel Tubiana, ancien président de la Ligue des droits de l'homme, met en garde contre «les risques de dérapages» : «La préfecture de police de Paris donne les moyens aux forces de l'ordre d'interdire ce qu'elles veulent, comme elles veulent... Il est à craindre que les policiers voient plus dans un groupe de 3 ou 4 garçons un tant soit peu basanés une réunion de nature à troubler l'ordre que dans un rassemblement de Blancs. Cet arrêté autorise tous les arbitraires.»
    Alors qu'il focalise déjà «la haine» de jeunes des banlieues, le ministre de l'Intérieur a persisté et signé sur France 2 jeudi, répétant les mots qui fâchent sur la «racaille» et les «voyous» qui font régner la «peur» dans certaines cités. Ses consignes d'interpellations massives sont par ailleurs suivies au pied de la lettre, la chancellerie enregistre ainsi en deux semaines 2370 gardes à vue liées aux violences urbaines. Pour donner le change, le ministre de l'Intérieur a suspendu huit policiers de Seine-Saint-Denis attrapés par une caméra de France 2 en flagrant délit de tabassage d'un jeune Noir à La Courneuve. Cinq d'entre eux ont été mis en examen vendredi par un juge de Bobigny : un a été placé en détention provisoire, quatre sont sous contrôle judiciaire. Celui qui a frappé le garçon et l'a envoyé par terre et celui qui l'a roué de coups de pied sont poursuivis pour «violences commises par personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions en réunion» et pour «faux commis en écriture publique» à cause d'un faux procès-verbal d'interpellation pour maquiller la bavure. Les témoins passifs de la scène ont été mis en examen pour «non-empêchement d'un délit contre l'intégrité corporelle d'une personne».





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